L’affaire d’État « Goldman Sachs »

Publié le par Carland

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Goldman Sachs se trouvait déjà sur la sellette. On se souvient de l’arrogance avec laquelle elle afficha ses résultats pour 2009 : meilleurs que jamais, donnant lieu aux bonus les plus élevés de l’histoire de la firme, alors qu’il était clair qu’ils constituaient un simple transfert à ses employés de l’aide gouvernementale dont la firme avait bénéficié dans le cadre du « plan Paulson » de 2008. On se souvient aussi de son P-DG, Lloyd Blankfein, affirmant qu’il « réalisait la tâche de Dieu ». On avait noté l’apparition l’année dernière du sobriquet « Government Sachs », soulignant la confusion existant à Washington entre le salut du pays et celui de la firme de Wall Street, et révélateur du malaise qui déboucha sur l’audition devant une commission du Congrès américain qui eut lieu le 27 janvier et dont l’objet implicite était de déterminer si oui ou non le sauvetage d’AIG, la principale compagnie d’assurance américaine, au coût prohibitif de 182 milliards de dollars, avait eu pour but déguisé de sauver avant tout Goldman Sachs.

La révélation il y a quelques jours du fait que Goldman Sachs a aidé la Grèce à cacher le montant de sa dette à l’aide d’un swap de change trafiqué (le contrat tel qu’il est décrit visait simplement à déguiser un prêt à long terme en un swap, nous ramenant aux plus beaux jours des falsifications ingénieuses que la firme Enron avait orchestrées en son temps [1]) et que des tractations en vue d’arrangements du même genre étaient encore en cours en novembre dernier, constitue pour l’opinion publique – il faut l’espérer –, la goutte qui fait déborder le vase.

Par Paul Jorion

Dans un billet publié hier, Simon Johnson, l’ancien économiste en chef du FMI, réclame une commission d’enquête qui examinera les conditions dans lesquelles Goldman Sachs a opéré et déterminera si la firme a été impliquée dans d’autres « arrangements » du même type. Il pose en particulier une question, dont les implications internationales sont évidentes : « Les régulateurs américains de Goldman étaient-ils au courant de ses activités en Grèce et dans d’autres pays de la zone euro ? Ont-ils approuvé ces activités qui portaient directement atteinte à l’intégrité de l’Union Européenne ? »

Les révélations qui se succèdent font apparaître que Goldman Sachs n’était pas seule en cause puisque la banque commerciale américaine JP Morgan Chase avait semble-t-il mis en place en 1996 un contrat du même type pour l’Italie. Et les responsabilités ne s’arrêteraient pas là puisqu’on entend dire que certains ministres des finances européens avaient été avertis de ces montages, de même d’ailleurs que les agences de notation et qu’Eurostat, le bureau de relevés statistiques de l’Union Européenne.

Je rappelais dans mon propre billet d’hier intitulé La finance ne s’auto-policera pas, que la grande firme d’audit KPMG avait été poursuivie aux États-Unis en 2005 pour avoir offert à ses clients fortunés des « packages » d’évasion fiscale, or il se fait que les montages mis à jour pour masquer la dette de la Grèce étaient conçus exactement dans le même esprit. Depuis que la crise s’est déclenchée en février 2007, trois ans se sont écoulés, offrant l’occasion aux banques de moraliser leurs comportements. Elles ont dans leur quasi totalité insolemment ignoré cette opportunité.

La semaine dernière, dans mon billet intitulé Cronos dévorant l’un de ses enfants, j’ai appelé les États à se rebeller contre la sujétion dans laquelle les établissements financiers les maintiennent. J’ai rappelé que :

… les firmes de Wall Street se sont mangées les unes les autres parce que, comme pour Cronos et ses fils, il valait mieux dévorer qu’être dévoré soi-même. Comme il n’en reste plus beaucoup, elles s’en prennent maintenant, avec l’aide des hedge funds, aux États. […] Seulement, les États ne sont pas de simples firmes, et si les banques et compagnie, entrent en guerre avec eux, ils ne se laisseront peut-être pas faire. Une telle guerre serait alors sans merci ».

Je souhaite de tout cœur que la révélation de ces jours derniers, relative aux agissements de Goldman Sachs, à la demande d’un gouvernement véreux, fasse que cette guerre est désormais ouverte.

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(1) Voir Paul Jorion, Investing in a Post-Enron World, McGraw-Hill 2003 : 81-95.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

Source : http://www.pauljorion.com/blog/?p=8148

Publié dans Economie

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