Du mépris social à la dignité populaire : un syndicaliste en politique

Publié le par Carland

Ouvrier de l’automobile et candidat du NPA à l’élection présidentielle, Philippe Poutou publie Un ouvrier, c’est là pour fermer sa gueule ! dans la collection « Petite Encyclopédie Critique » des éditions Textuel : « bonnes feuilles »…

 

 

 

*********************************

Il y a plus de résistances qu’on ne le pense, et peu de salariés font l’apologie du patronat et du capitalisme. Mais ces résistances sont diluées, non coordonnées, ne débouchent pas souvent sur des actions collectives, car le fatalisme pèse énormément (« Il n’y a jamais rien de neuf sous le soleil ! », « Qu’est-ce qu’on y peut, nous autres ? », « Ils sont trop forts pour nous ! »…). Jusqu’au jour où on ne se satisfait plus de ce que l’on a, où on se sent la force de réagir, le jour où ça pète quelque part, comme dans les usines de New Fabris à Châtellerault, de Molex à Villemur-sur-Tarn, de Fralib à Marseille, de Lejaby à Yssingeaux, ou chez les pompiers de la gare d’Austerlitz, les agents de sécurité des Aéroports de Paris, les caissières du supermarché Dia d’Albertville, ou encore chez Ford, là où je travaille. […]

 

Une dignité retrouvée dans les luttes, à Ford et ailleurs

Pour se battre, pour relever la tête, il faut trouver la force morale, il faut une équipe militante prête à en découdre et des conditions pour rendre crédible la perspective de « sauver » sa peau.

À l’usine Ford de Blanquefort, là où je travaille, nous avons eu la chance d’avoir ces conditions favorables. Bon, c’est vrai, cette chance nous sommes allés la chercher. Quand Ford a pris la décision de liquider cette usine qui fabrique des boîtes de vitesse automatiques, les dirigeants ont sans doute pensé que ce serait là une opération plutôt facile. En effet, il n’y avait pas eu de conflits depuis vingt ans. Les grèves pour les salaires concernaient trente à cinquante ouvriers sur les environ deux mille trois cents : cela ne sentait pas la poudrière ! Et, en 2005, nous avons subi un plan de cinq cents suppressions d’emplois (sous la forme de « départs volontaires »), sans avoir réussi à l’empêcher ou même à le réduire. À ce moment-là, le sentiment d’impuissance était encore dominant.

Pourtant, il s’est passé quelque chose d’imprévisible, pour le patron bien sûr, mais aussi pour le noyau dur des militants syndicaux. L’avenir de l’usine s’annonçant de plus en plus sombre, surtout après un plan de suppression d’emplois que nous interprétions comme n’étant que la première vague, nous avons décidé à quelques-uns de lancer les hostilités. Nous voulions devancer le patron avant qu’une annonce dramatique ne soit faite.

Nous avons surpris tout le monde : la direction de Ford Europe, notre direction, les élus, les médias, mais aussi un peu les collègues. Une chose est sûre : le succès de notre première manifestation en ville, en ce 24 février 2007, allait engager une dynamique de résistance collective. Les actions à l’extérieur de l’usine se sont multipliées avec les années, regroupant chaque fois plus de monde. Nous nous adressions aux collègues, bien sûr, mais aussi à la population, aux pouvoirs publics en recherchant la médiatisation. […]

Les « journées usine morte », le blocage des entrées de l’usine pendant dix jours, les deux manifestations avec incursion et occupation du stand Ford au Salon de l’automobile à Paris… cette aventure sociale a créé des liens de solidarité, une chaleur humaine, une fierté retrouvée chez de nombreux salariés habitués à subir pendant des années. Nous avions relevé la tête, nous étions en train d’affronter une multinationale qui nous méprisait, qui nous prenait de haut. Une fois le mouvement démarré, l’autorité de la direction en a été ébranlée, quelque chose venait de s’enrayer dans la machine de l’oppression. Nous avions pris confiance dans notre force collective. Je suppose que c’est ce qui se passe dans tous les conflits émancipateurs. […]

 

Le candidat des anonymes n’est pas le bienvenu au banquet des politiciens professionnels

De fait, très peu de salariés, d’ouvriers, d’employés, de caissières, d’infirmières, de précaires, sont candidats ou élus à des élections majeures. Pourtant, la majorité d’entre nous, gens d’en bas, a tout intérêt à faire de la politique, à prendre ses affaires en main. Les gens d’en bas, les opprimés, doivent se défendre eux-mêmes, se battre eux-mêmes, être représentés par eux-mêmes. On n’est jamais si bien servi que par soi-même, surtout si on veut éviter de nouvelles déceptions. On a souvent connu avec les politiciens de gauche, même quand ils avaient l’air sympathiques, de belles paroles sans lendemain.

Le NPA présente une candidature qui se situe à l’opposé des choix politiques habituels, à l’opposé des ambitions et des obsessions personnelles. Mon combat se situe à l’opposé des carrières des professionnels de la politique, des élus cumulards en poste depuis des années, voire des décennies, dotés de privilèges matériels importants. On comprend qu’ils s’accrochent à leurs pouvoirs et à leurs revenus… Je suis différent de celles et ceux qui vivent de la politique et qui n’ont plus, depuis longtemps, de contact direct avec les conditions de vie de la plupart des gens. Je suis favorable à une rupture radicale avec ce fonctionnement oligarchique par l’instauration, entre autres, de la révocabilité des élus, du plafonnement de leurs revenus (au niveau du salaire moyen) et du non-cumul des mandats (en nombre – un seul mandat à la fois – et dans le temps – l’impossibilité d’avoir un même mandat plus de deux fois au cours d’une vie). Pour nous, ces principes, ce n’est pas seulement pour demain : c’est dès maintenant que nous commençons à les appliquer ! Car beaucoup de notables de gauche se disent favorables à une « VIe République » ou à une « Révolution citoyenne » pour plus tard, mais en attendant ils font l’inverse…

**********************************

Philippe Poutou, ouvrier mécanicien à l’usine Ford de Blanquefort (Gironde) et militant de la CGT, est le candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste à l’élection présidentielle. Il succède ainsi à Olivier Besancenot. Le texte précédent est composé de « bonnes feuilles » de son livre, Un ouvrier, c’est là pour fermer sa gueule ! (éditions Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », éditions Textuel, 48 pages, 5 euros).

Source : http://blogs.mediapart.fr/edition/petite-encyclopedie-critique/article/090312/du-mepris-social-la-dignite-populaire-un-sy

Publié dans Politique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article