Kasserine, Tunisie : au coeur d'un des centres de la rébellion

Publié le par Carland

Dans l'ouest du pays, cette ville est un des foyers de la rébellion contre le pouvoir. Cinquante personnesy ont peut-être trouvé la mort en deux jours. Le pouvoir conteste ce chiffre.

Kasserine.De notre envoyé spécial

Scène de pillage à Kasserine, où les émeutiers mettent à sac une grande surface du centre-ville, appelée le « magasin général ». Des gosses passent les bras chargés de cartons. Ils ont pris ce qu'ils ont trouvé. Des rouleaux de papier toilette, des paquets de biscuits, du lait, des conserves...

Un adolescent hilare fracasse le col d'une bouteille de bière qu'il se met à boire. Soudain, retentit le cri d'une femme. Elle appelle ses enfants. « Rentrez à la maison, vite ». Dans la rue, les visages brillent d'excitation. De peur, aussi.

« Ils voulaient tuer »

Hier, il y a encore eu des morts. La police a tiré. Des manifestants parlent de trente-huit victimes, d'autres de cinquante, pendant les deux journées où cette petite ville de 75 000 habitants, à l'ouest de la Tunisie, a laissé exploser sa colère et provoqué la riposte des forces de l'ordre. « Ils voulaient tuer. Tous les morts portent des blessures à la tête ou à la poitrine. Les balles ne sont pas arrivées par hasard », s'enflamme Nabir, 23 ans.

Le pillage du grand magasin met en rage Youssef Abidi. Cet enseignant est un des responsables du syndicat Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Pour lui, pas de doute, c'est orchestré par le pouvoir. « Ce sont les policiers qui ont ouvert les portes pour que les pillards puissent entrer. »

Il montre les rues où pas un uniforme n'apparaît. « Ensuite, ils sont partis pour les laisser faire. Les gens ont faim, c'était obligé qu'ils se servent. Et Ben Ali va pouvoir dire que ce qui se passe n'est qu'une affaire de voleurs alors que c'est un soulèvement populaire qui est en train d'avoir lieu. »

Le syndicaliste a lui aussi été la victime de la brutalité des forces de l'ordre. À 12 h 40, elles ont fait irruption, matraque à la main, dans les locaux de l'UGTT. « Ils poursuivaient des lycéens qui s'étaient réfugiés chez nous. Quand ils sont entrés, ils se sont mis à frapper tout le monde et à tout casser », raconte-t-il.

Vingt-quatre heures après, les rues de Kasserine portent bien visibles les traces des affrontements. Plusieurs bâtiments administratifs ont été incendiés, ainsi qu'une grande surface de meubles. Ce mardi, tous les commerces sont fermés. Ville morte.

Pourquoi une telle explosion de colère ? « Le chômage ! Personne n'a de travail. Regardez-nous. On a tous des diplômes, mais aucun n'a un emploi qui lui assure une vie digne », dénonce avec véhémence Issan, 22 ans, titulaire d'une maîtrise de gestion.

Le développement de la Tunisie a oublié Kasserine, où le taux de chômage frise les 30 %. « Pas un investissement. Cela fait cinquante ans que cela dure, dit Larbi, 35 ans. Il y a deux Tunisie. Celle du littoral, que les touristes connaissent. Et celle de l'intérieur, qui est une prison où l'on crève lentement. »

Marc MAHUZIER.

Publié dans Actualité

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