Financement des hôpitaux : le mauvais exemple allemand

Publié le par Carland

Dr Anne Gervais, Pr André Baruchel, Pr André Grimaldi (Paris) ; Dr Nils Bölke, Dr Thorsten Schulten (Dusseldorf), Dr Ordrun Schuler (Tecklenburg)

Un an après son vote controversé, la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) commence à entrer en application. Efficience et rentabilité sont dorénavant les maîtres mots du management hospitalier. Chaque hôpital doit d'abord et avant tout équilibrer son budget. Or le budget n'est plus déterminé depuis 2009 que par le "tarif des maladies prises en charge et des actes médicaux réalisés". C'est l'application de "la tarification à l'activité" (T2A). Un pays en Europe a déjà réalisé cette mutation pour le financement de ses hôpitaux : l'Allemagne.

Comme en France, le nombre d'hôpitaux et de lits d'hospitalisation, en Allemagne, a connu une importante diminution dans la dernière décennie, mais tous les secteurs d'hospitalisations n'ont pas été touchés d'égale façon : si entre 2004 et 2008 le nombre d'hôpitaux publics de soins aigus est passé de 671 à 571, les cliniques, quant à elles, voyaient leur nombre croître de 444 à 537. Alors qu'en 1991 les hôpitaux publics constituaient 46 % des hôpitaux, ils n'étaient plus que 32 % en 2009, tandis que  les établissements privés, eux, passaient de 15 % à 30,6 %, et les hôpitaux privés à but non lucratif passaient de 39 % à 37,5 %. Jusqu'à la fin des années 1990, la privatisation concernait essentiellement les petits hôpitaux mais depuis 2000 les gros hôpitaux publics, notamment les CHU, ont été touchés. Ainsi, les hôpitaux de la ville de Hambourg ont été vendus en 2005, les CHU fusionnés de Giessen et Marburg l'ont été en 2006.

Jusqu'à la T2A, le financement des hôpitaux en Allemagne était assuré par un système dual : frais de fonctionnement à la charge de l'assurance maladie avec un système de forfait journalier, frais d'investissement à la charge des Länder. L'application de la T2A, à la place des forfaits journaliers, a mis en faillite la plupart des hôpitaux publics : le rapport 2008 de la Krankenhaus Rating Report signalait qu'en 2008 un tiers des hôpitaux étaient dans le rouge. Le déficit était estimé à 2,2 milliards d'euros. Comme en France, l'essentiel de la dépense des hôpitaux étant constitué des frais de personnels (65 %), des économies ont été massivement effectuées sur ce poste de dépenses : les dépenses de personnel ne représentent maintenant que 60 % des frais. D'une façon générale, la charge de travail des employés est supérieure dans le privé par rapport au public : plus de lits par employés (+30 % par médecin). Dans le même temps, la durée moyenne de séjour a été abaissée (de 10 jours en 1998 à 8 jours en 2008), intensifiant d'autant le travail. Le manque de personnel est une cause de mécontentement général des patients.

MÉCONTENTEMENT DES PATIENTS, INSATISFACTION DES SOIGNANTS

Par ailleurs les salaires dans les hôpitaux ne sont plus fixés par les tarifs de la fonction publique, mais dans chaque hôpital, élargissant la fourchette de la grille des salaires pour les soignants. Tous les employés de la santé ont vu leurs salaires baisser en passant dans le privé sauf les médecins chefs de services et leurs adjoints ayant des fonctions managériales. Il faut signaler que ces modifications des conditions de travail et de rémunération ont entraîné une grève "historique", la première depuis trente ans, chez les médecins des hôpitaux publics et communaux. Pire encore, depuis quelques années le départ des médecins hospitaliers vers la Suisse, la Scandinavie et dans des cabinets privés provoque une véritable pénurie à l'hôpital. Cet exil et cette pénurie commencent également à toucher les soignants non médicaux.

La résistance à la privatisation est maintenant croissante dans la population : en 2004, un référendum à Hambourg a retardé d'une année la vente des hôpitaux, 77 % des votants s'étant exprimés contre la vente. Des collectifs "Gesundheit ist keine Ware" (la santé n'est pas une marchandise) se sont créés. Car pour les patients, les dysfonctionnements sont nombreux : outre le manque de personnel, la diminution de durée des séjours et les sorties prématurées sont la cause de réhospitalisations encombrant d'autant plus les urgences qu'elles doivent se faire dans un autre hôpital que l'hôpital du premier séjour (au risque sinon que le deuxième séjour ne soit pas "rémunéré" car dépendant du premier séjour). Ainsi, on assiste à une explosion des transferts d'hôpitaux à hôpitaux (+50 % entre 2001 et 2006). Enfin, la T2A ne semble pas efficace pour maîtriser les coûts : les dépenses de santé par habitant sont très voisines en France et en Allemagne (3601 dollars par an en France, 3588 en Allemagne, d'après l'OCDE en 2007) et, si les dépenses publiques de santé baissent en Allemagne (passage de 79 % de la dépense publique à 77 % entre 2000 et 2007), la participation directe des ménages est, elle, en hausse : passage de 11 % à 13 % de participation à la dépense sur la même période.

Source de mécontentement pour les patients, source d'insatisfaction pour les soignants, les nouvelles modalités de fonctionnements des hôpitaux allemands semblent donc n'avoir apporté un bénéfice clair et croissant qu'aux actionnaires du secteur privé de la santé. Pourquoi faut-il que la France suive cet exemple ?

Dr Anne Gervais, Pr André Baruchel, Pr André Grimaldi (Paris) ; Dr Nils Bölke, Dr Thorsten Schulten (Dusseldorf), Dr Ordrun Schuler (Tecklenburg)

Publié dans Santé

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